J'appartenais a une petite troupe de jeunes conscrits qui, sous les ordres du fourrier Poitevin, devait rejoindre en Allemagne les armées de Napoléon 1er. Nous allions donc, savant la grande route, le fusil a l’épaule, la capote retroussée, le, dos arrondi sous le sac, et l'oreille basse, comme on peut croire.
La pluie tombait, l'eau nous coulait du képi dans la nuque Un vent violent secouait les hauts peupliers, dont les
feuilles jaunes.
voltigeaient autour de nous et annonçaient Parfois
un village se rencontrait, avec ses hangars, ses gros fumiers et ses pauvres
jardins. Les femmes, debout derrière les petites vitres ternes,nous regardaient
passer, un chien aboyait, et nous allions toujours Au bout du village, nous revoyions
toujours la grande route s'étendre a perte de vue, les nuages gris se trainer
sur les champs dépouillés, et quelques maigres corbeaux s’éloigner à
tire-d'aile en jetant leur cri mélancolique. Rien de triste comme un pareil spectacle, surtout quand on pense
que l'hiver approche, et qu'il faudra bientôt coucher dehors dans la neige.
Aussi personne ne disait mot, sauf le fourrier Poitevin.
C'était un vieux soldat, jaune, ride, les
joues creuses, le nez rouge et les moustaches longues d'une aune. Il avait un
Ian-gage rude; et, quand la pluie redoublait, il s'écriait avec un éclat de
rire bizarre :
« Oui... Poitevin !... Cela t'apprendra a siffler! »
Nous approchions d'une ville, et la pluie
tombait verse, lorsque le fourrier s'écria pour la vingtième fois :
Oui,
Poitevin..., voila l'existence..., cela t'apprendra a siffler!...
Quel diable de proverbe avez-vous la,
fourrier? lui dis-je. Je voudrais bien savoir comment la,pluie vous apprend a
siffler.
Ce n'est pas un proverbe, jeune homme,
c'est une idée qui me revient quand je m'amuse.
Puis, au bout d'un instant :
Vous saurez, dit-il, qu'en 1806, époque
ou je faisais mes études a Rouen, il m’arriva de siffler une pièce de théâtre,
avec bien d'autres jeunes gens comme moi. Les uns sifflaient, les autres applaudissaient; il en résulta des coups de poing et la police nous mit au
violon par douzaines.
L'Empereur, ayant appris la chose, dit :
Puisqu'ils aiment tant a se battre, qu'on
les incorpore dans mes armées! ils pourront satisfaire leur gout! » Naturellement,
la chose fut faite et personne n'osa souffler dans le pays .
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